Fiche : Alcool
Bleu, blanc, rouge… ou rosé, quand ils viennent en Provence, pour nos amis anglais.

Sous sa bannière colorée, il fait bon vivre en France, le pays du vin où même des villes et des régions portent le nom de vins que tout le monde boit et même les enfants, à l’école, il n’y a pas si longtemps.

 

Il est souvent le premier produit que l’on essaie et le dernier, c’est la drogue universelle : boisson de fête, aliment, médicament, breuvage sacré, fortifiant ou produit de défonce, l’alcool accompagne la consommation des autres psychotropes (cannabis, médicaments de substitution aux opiacés, benzodiazépines, héroïne, cocaïne…) et celle du tabac dans 95% des cas.

Il est utilisé pour potentialiser l’effet des drogues ou adoucir la « descente » voire servir de produit de remplacement.

La législation qui encadre sa consommation est un modèle de précision, au milligramme prés, elle détermine selon les individus, les lieux et les circonstances, ce qui est autorisé ou pas et les sanctions qui en découlent.

Même Hannibal Lecter n’était pas aussi surveillé, et pourtant…

Le risque alcool concerne directement 5 millions de personnes qui en consomment et indirectement le double ou le triple qui n’en consomment pas.

Car même s’ils n’apparaissent pas dans les statistiques, conjoints, enfants, famille et entourage proche paient a l’alcool un lourd tribu.

En médecine générale le problème alcool concerne 50.000 consultations par semaine. Or il n’y a que 170.000 places en alcoologie : on parle de l’ « Iceberg Alcool ».

Mais un iceberg ça fond…

Concepts nouveaux et rénovés

Concept de santé publique dont l’objectif est d’agir sur la qualité de vie des personnes. Elle vise à prévenir et limiter les conséquences négatives des addictions et des usages en général (échange de seringue, TSO, kits de sniff, vapotage). Pragmatique , immédiate et sur mesure, elle permet des résultats moins ambitieux sur le plan thérapeutique mais souvent plus efficients, rapides et tangibles. Aujourd’hui elle s’applique à l’alcool.

Le sevrage reste un objectif mais il change de place. Ce n’est pas un pré requis, il n’est pas obligatoire. Il vient clore le processus de guérison et non le remplacer. Et l’on cesse d’en faire une panacée en intégrant ses effets potentiellement délétères lorsqu’il est contraint et non souhaité ou préparé.

 

Le patient en est l’acteur, il commence quand il veut, comme il peut, il reprend le contrôle de sa vie, se réinvente en buvant ou pas, dans sa zone de confort. C’est « intéressant » .

 

Termes utilisés par les Québécois pour définir positivement le projet individuel d’équilibre avec l’alcool qu’on soit abstinents ou pas.

 

La fin...

La représentation traditionnelle de « l’alcoolique à vie » buveur invétéré alcoolo dépendant a fait son temps.

Trop caricaturale et désobligeante elle a éloigné du soin ceux qui en avaient besoin et laissé de côté la majorité des personnes qui sans être « alcooliques » avaient un problème avec l’alcool, il était urgent de changer d’approche. Avec le temps « Alcoolique » était devenu un terme médical péjoratif pour dire ivrogne.

Or il y a de nombreuses façons de boire trop, de boire mal, de boire quand il ne faut pas, de boire quand on ne supporte pas de boire, de boire et de faire n’importe quoi pour qu’on ne s’intéresse qu’aux « alcooliques ».

On parle désormais plus simplement de « problèmes lié à l’alcool » et ils sont nombreux et divers. On se fixe comme objectif la « réduction des risques et des dommages », l’abstinence n’est plus l’option unique, ni obligatoire, on peut continuer à boire et néanmoins consulter. C’est un changement de paradigme. On entre dans le vrai !

Cela fait vingt ans qu’il se cache, qu’elle « boit sous l’évier », celui ou celle qui boit n’offense pourtant personne.

« Mon corps est mon pays, il est sous ma juridiction, j’en suis le souverain et les frontières de mon corps sont sacrées. Ce qui y pénètre ne regarde que moi, personne ne peut etc… » Cet article de la constitution argentine sur les libertés individuelles est on ne peut plus clair :

mêlez-vous de vos affaires, vous, les bien intentionnés, hier au nom de la morale, aujourd’hui au nom de la santé…C’est un peu rude mais c’est pour la bonne cause, le sentiment de culpabilité est un obstacle au soin trop important pour qu’on chipote.

Il faut dire haut et fort que le seul fait de boire ne peut justifier qu’on soit désigné coupable et qu’on se sente honteux. En termes moins emphatiques, pour ne pas dire avec plus de sobriété, la loi française dit la même chose : on a le droit de boire en toute légalité chez soi ou dans un espace privé, et même de se saouler, on l’avait presque oublié. Cela est d’autant plus essentiel que culpabilité et honte ne sont solubles que dans l’alcool et que celles et ceux qui les subissent vont souvent consommer de plus belle.

Désormais, le médecin n’a plus besoin de jouer à cache-cache avec son patient soupçonné de boire pour le faire avouer ou, au contraire, partager son déni, chacun épargnant l’autre : l’un de son aveu, l’autre de son impuissance.

Souvent le déni a été un modus vivendi de la relation médecin/malade, presque une forme de politesse, funeste, mais préférable à l’épreuve de force avec le seul objectif de sevrage « obligatoire et définitif », dont les résultats étaient connus d’avance.

Il existe désormais un espace ou le patient n’est plus victime du diagnostic d’« alcoolisme », un espace où il peut exister comme un homme ou une femme, à son âge 40, 50, 60 ans, il était temps.

C’est aussi un espace pour la clinique : on sort du tout ou rien. La notion de service médical rendu appliquée aux médicaments avant autorisation de mise sur le marché pourrait aussi bien s’appliquer aux diagnostics, qui ne sont pas exempts d’effets secondaires. Certains sont des mises à mort symboliques qui paralysent les médecins et dont les patients ne se relèvent jamais.

Si l’ « alcoolisme » avait une réputation d’incurabilité, c’est parce qu’on fixait d’emblée la barre trop haut, pour les patients…et pour les médecins. On s’y prenait mal.

La situation était paradoxale : le sevrage réussissait toujours mais ne tenait jamais et pourtant les médecins continuaient à le pratiquer.

Les demande étaient si pressantes, les situations de détresse si profondes qu’il leur était difficile de refuser. D’autant plus que l’on pensait que c’était par le sevrage que tout commençait et finissait. On s’aperçoit maintenant qu’il vient plutôt clore le processus personnel, original et plutôt long, de la guérison.

On est passé de la prescription d’une solution invariable et unique, la même pour tous, à une approche individuelle, clinique. Et pour cela on a plus que jamais besoin de la collaboration des patients.

Le « Patient collaborateur »

A moins que ce soit le médecin car en addictologie, le soin se négocie.

Les savoirs sont partagés, à égalité, même si cette égalité est asymétrique, entre le soignant et le soigné. A cette condition, on peut élaborer conjointement des stratégies sur mesure, les évaluer pas à pas, entrer dans les détails, être plus près de la réalité, plus pragmatique. Les patients ont déjà une longue histoire, beaucoup ont déjà fait des sevrages seuls ou pas, on fait des « pauses », ont arrêté de boire dans certaines circonstances, en présence des enfants, au travail, au volant, ont arrêté les alcools forts, retardé le moment du premier verre…

Nos patients se connaissent, on aurait tort de négliger leur opinion et leur expérience parce qu’on a de belles idées. Ce n’est pas le patient tel qu’on l’imagine qui est au centre du soin, c’est le patient réel en relation avec le médecin. Cet homme ou cette femme reste à découvrir, ça peut valoir le coup ! En effet…

Recherche en addictologie : la « Street pharmacology »

Tous les médicaments qui ont marqué un réel progrès dans les addictions (et même dans certains troubles mentaux) ont été découvert par des patients avant d’être testés par la médecine de premiers recours, puis validés scientifiquement et enfin produits par l’industrie pharmaceutique.

Des antalgiques comme la Méthadone* et la buprénorphine ont été détourné par des toxicomanes pour traiter leur dépendance aux opiacés, le Bacloféne*, un décontracturant, pour traiter la dépendance à l’alcool, des stimulants comme les amphétamines et la cocaïne, pour canaliser les symptômes d’hyperactivité bien avant la découverte de la Ritaline*, la E-cigarette pour les fumeurs dépendants ou le CBD pour la dépendance au cannabis.

En matière d’addictologie, le circuit est toujours le même, il part de la rue avant d’y retourner. Des centaines de milliers de chercheurs bénévoles, très motivés, infatigables, expérimentent en permanence des produits, cherchent des solutions, prennent tous les risques, communiquent entre eux sans arrêt et finissent forcément par trouver ce qui deviendra un médicament dont ils pourront bénéficier. En terme d’auto-support, on ne peut rêver mieux.

Que faut-il faire et quand le faire ?

Dans tous les lieux ouverts au public, les professionnels peuvent être confrontés à ce genre de problèmes. Si on a anticipé, s’il y a eu une réflexion et une élaboration collective des réponses possibles et que l’on s’est formé, on peut au moins éviter de répéter les réactions et les décisions inappropriées. C’est le minimum que l’on est en droit d’attendre d’une entreprise, d’une institution. Cette démarche peut s’intégrer dans une réflexion collective interne (direction, encadrement, personnel, comité d’hygiène, médecine du travail) sur les risques professionnels. Mais aussi s’appuyer sur de nombreuses ressources externes.

Le « Dépendant » institutionnel

Il arrive que des gens, plus ou moins alcoolisés, viennent mettre leur « drame en scène » dans une institution, une association qu’ils ont “adoptée”. Ils ne sont pas violents, ni agressifs, mais ils sont bruyants, très démonstratifs, ils ne se laissent pas ignorer. Ils occupent tout l’espace, accaparent tout le monde, inquiètent, insistent, s’installent, ou partent mais reviennent. Épuisants, ils suscitent chez les professionnels des réactions… contrastées. Ce sont souvent des personnes isolées qui peuvent trouver leur place dans des groupes d’entraide ou appeler des services d’écoute. A l’inverse et sans doute plus inquiétant, le « bon patient », le patient parfait, lisse et compliant que l’on ne reverra jamais (La consultation blanche).

Agressivité, violence verbale, plus rarement physique, sont souvent rapportées par les professionnels des services d’urgence, d’accueil de nuit, d’accueil de populations précarisées. Parfois ces situations se résolvent si on peut recevoir rapidement la personne dans un lieu adapté, pour voir de quoi il retourne. Mais parfois aucun dialogue n’est possible, il y a des effets de groupe, la situation relève du « maintien de l’ordre ». La répétition de tels événements révèle une inadaptation du dispositif d’accueil.

Ah non ! C’est le premier réflexe. Mais si la personne, bien qu’alcoolisée, a quand même honoré son rendez-vous?

Ou, si « être à jeun » elle a depuis longtemps oublié ce que ça signifie et qu’à jeun vous ne la verrez jamais.

Ou si elle n’est pas si « bourrée » que ça et qu’on peut parler ?

Venez comme vous êtes ! Et tant pis si vous êtes bourré ! Pas tant mieux mais quand même, il est important de « sécuriser les consommations » pour avoir les meilleures conditions d’entretien possible.

Alors on peut prendre un temps pour parler, sait-on jamais. Ou bien dire la difficulté qu’on a à travailler dans ces conditions, proposer un autre rendez-vous, voire poser la question du soin. Proposer des orientations… On ne risque que de résoudre deux problèmes à la fois, celui de l’accueillant et celui de l’accueilli.

Le soin

Les médecins parlent de réduction des risques et des dommages mais avec les patients il est plus pertinent, pour dire la même chose et un peu plus, de parler de tempérance à seuil adapté ou de “nouvelle sobriété”.

 

Le problème des addictions est suffisamment banalisé pour qu’on puisse l’évoquer lors d’une consultation chez le généraliste, à l’occasion d’un bilan de santé, d’une urgence, d’une grossesse, avant une opération…, quelle qu’en soit l’occasion, essayons d’aborder les dommages afin d’essayer de les contrôler.

 

DRY january : Pour tous, démarche volontaire pour évaluer sa consommation certes, mais surtout voir ce qui va mieux et en déduire donc les dommages liés à la consommation !

Tout professionnel du secteur médico-social peut être sollicité. La demande est souvent motivée par une conséquence récente et fâcheuse d’un problème d’alcool. Ce n’est pas toujours le bon moment ni le bon endroit mais c’est peut-être la première fois depuis dix voire vingt ou trente ans qu’il ou elle a pris l’initiative de parler ou au contraire c’est la énième fois qu’elle en parle mais sans résultat.

Il va falloir être a la hauteur d’une situation pour laquelle on n’a peut-être pas été préparé. A ce stade, il suffit de présenter l’offre de soin, elle est aujourd’hui diversifiée et adaptée. On peut expliquer que l’abstinence n’est plus un préalable que chacun peut être reçu comme il est et accompagné rapidement. On ne va pas exiger de lui l’impossible… C’est un discours nouveau qui suscite en général l’adhésion. Il existe de nombreux professionnels et de nombreuses structures spécialisées afin d’aider le patient à atteindre ses objectifs.

Oui bien sûr, mais en vaut-il la peine ? Les bénéfices attendus arriveront-ils à compenser tout le pouvoir que le produit apporte sur la réflexion, la douleur, les sentiments ? Le pronostic dépend de la réponse que le patient apportera à la question. Y a-t-il quelque chose qui pourrait faire le poids, aurait-il une idée ? Pas pour le moment ? Non ? Oui ? Si c’est oui, pour réaliser son idée, il lui faudra traverser une période pénible pleine de confusion, d’obstacles et de bonnes raisons de renoncer, seulement soutenu par une idée, mais il y a toutes les raisons d’être optimiste, une idée dont le temps est venu est irrésistible.

 

Le buveur s’enivre pour s’évader, fuir la bassesse, l’indifférence et l’ennui, c’est un romantique. Le buveur joue sa vie, il n’a pas peur, il est libre, il s’en fou, c’est un désespéré. Ivre, il a de la densité, il est présent, ultra lucide, vivant, il a du style ! Boire élève son esprit comme le verre qu’on présente au ciel avant de trinquer. L’ivresse est une démarche spirituelle, ivre on existe, ce n’est pas pour rien que le vin est sacré. Contre quoi pourrait-il échanger ça ?

 

L'entretien

Les patients racontaient souvent l’histoire d’une violente envie de boire qui les a pris après (voire pendant) une consultation et les avait précipités dans le premier bistrot venu, paniqués par le projet de soin radical, aussi impérieux qu’inaccessible qu’on leur proposait. Ce n’est pas ce qu’on attend d’un entretien.

 

Aujourd’hui on s’efforce d’accepter les patients tels qu’ils se présentent sans préjuger de ce qu’on va leur proposer, mais curieux d’apprendre et confiant. Pourquoi consulte-t-il aujourd’hui, qu’est-ce qui se passe, comment ça va ? Il pourra dire, les problèmes qu’il a avec l’alcool, ce qu’il boit, depuis quand et comment, ce que ça lui apporte et ce que ça lui enlève, ce qu’il souhaite dans l’immédiat, ce qu’il imagine pouvoir faire pour que ça change, ce qu’il a déjà essayé, ce qu’il a compris, ce qu’il ne veut pas. Le soignant présente l’éventail des ressources et des possibilités, ce que l’on peut faire de suite et ce qui prendra plus de temps, on va y réfléchir on décidera ensemble, il faut essayer.

Au fur et à mesure de l’entretien, le patient s’apaise, se détend, le soignant trouve son naturel. Dédramatisé, l’échange devient plus naturel, fluide, des perspectives s’ouvrent… il y avait longtemps. Chacun a trouvé un allié, le médecin pour le soin, le patient pour se soigner. C’est ce que l’on attend d’un entretien.

Les moyens

Il y a de nombreuses possibilités : traitement médicamenteux ambulatoire, soutien psychologique, psychothérapie comportementale, systémique, d’inspiration analytique, séjour de rupture, prévention des risques identifiés, réparation de dommages, hospitalisation, traitement d’une dépression, d’un trouble psychiatrique, arrêt de travail, bilan de santé, sevrage, post cure, communauté thérapeutique, etc… Les moyens ne sont pas tous médicaux : changement climatique, groupe de parole, ligne d’écoute, reprise d’une activité physique, relaxation, « déménagement », changement d’activité, changements familiaux, réorientation professionnelle, formation, curatelle, institutionnalisation…

– Et pourquoi pas un chien ?

– Ce n’est pas sérieux Docteur !

– Ah bon ?

 

Baudelaire (le spleen de Paris)

« Il faut être toujours ivre. Tout est là : c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous. Et si quelquefois, sur les marches d’un palais, sur l’herbe verte d’un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront : Il est l’heure de s’enivrer ! Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. »

 

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