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“Plaisirs et Psychanalyse”

À propos du livre de MICHEL LEVY, "Plaisir et Psychanalyse" et plus précisément du chapitre sur la toxicomaniequi y est contenu.

Pourquoi un travail de recherche sur la question du plaisir en psychanalyse ? Sans doute pour tenter d’avancer sur cette évidence souvent répétée, mais jamais vraiment élucidée, que la singularité et la qualité de la rencontre thérapeutique sont des facteurs déterminants de l’avancée d’une analyse, tout autant voire plus que l’école à laquelle se réfère l’analyste. Quelle place exacte tient alors ce plaisir de la rencontre avec l’analyste dans le processus de guérison ? Quelles en sont les fonctions et les limites ? Que produisent les nombreux paradoxes entre les plaisirs de l’être et les plaisirs de l’autre ?

Dans la structure de la névrose, la place du plaisir est centrale, puisque ce qu’on appelle les bénéfices secondaires sont ses déplacements lors des divers refoulements. Par exemple, dans beaucoup d’énurésies, le plaisir reste inconsciemment et imaginairement fixé dans le contexte de l’échange corporel autour de l’époque des langes. La cause en est souvent l’insuffisance du plaisir, refoulée, à se voir grandir vers l’identité adulte. Ces mécanismes sont l’objet même de l’insistance de la structure pathologique et se rejoueront dans le transfert thérapeutique. Un trait psychopathologique structuré peut ainsi essentiellement être analysé comme un déplacement de plaisir vers l’imaginaire, au détriment de la rencontre réelle, hypothèse fort importante pour l’efficacité du travail thérapeutique transférentiel. Autre exemple, la toxicomanie, qui montre à quel point la recherche de plaisir est une priorité vitale de l’appareil psychique : s’il vient par trop à manquer de s’articuler durablement à la réalité relationnelle, remplacé alors par l’ennui, cette quête s’effectue parfois au détriment même du corps par un délétère court-circuit d’excitation direct des centres du plaisir. Il m’a semblé que les travaux existants sur le plaisir dans le corpus analytique ne répondaient pas tout à fait à ces évidences que la clinique pourtant montre abondamment.

Le parti-pris de ce travail est que le plaisir, loin d’être seulement un élément parmi d’autres de l’appareil psychique, en est en fait le cœur même, voire une caractéristique forte et ubiquitaire du vivant.

Étayer cette place donnée au plaisir nécessite de revisiter ce qu’il représente. C’est ainsi que la définition la plus utile pour ce travail serait la suivante : il est le produit de la résonance entre un organisme et l’extérieur de sorte qu’il peut se maintenir d’une part, se reproduire d’autre part.
Qu’il faille pour cela en passer par des notions physiques et mathématiques est la partie la plus rébarbative de ce travail, indispensable cependant pour en poser quelques fondements. Mais cela n’a pas sa place dans cette brève présentation. ( 1 L’Harmattan, 2020)

Ensuite, pour se rapprocher de notre sujet central, qui reste la pratique clinique, on aperçoit alors nettement un élément primordial de tout transfert thérapeutique : c’est qu’il est imprévisible, non manipulable de part et d’autre du bureau ou du divan et du fauteuil. Il ne produit, de ce fait, que des effets d’après-coup, qui eux, sont partiellement analysables. Ainsi disait Montaigne de l’amitié avec La Boétie : « Si on me presse de dire pour quoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : parce que c’était lui, parce que c’était moi ». Bien sûr le transfert thérapeutique n’est pas l’amitié, tant s’en faut ! Il partage simplement avec elle ce trait d’être non prévisible et non manipulable.

L’extrême complexité de l’humain et l’extrême variabilité des cultures qui le portent expliquent largement cela : pour que des résonances positives existent entre des organismes aussi multiples, il faut simplement beaucoup de chance et de hasard, indépendamment de toute « technique » d’entretien psychothérapique ou analytique. Aucune recette, en cet endroit, ne marche en tant que telle, quelle que soit l’école.

C’est ce double aspect du plaisir, d’engager le cœur du sujet (et d’être, de ce fait même, non manipulable de l’extérieur) qui est le cœur du transfert thérapeutique en général et donc aussi en particulier dans la question de la toxicomanie.

C’est alors l’écoute attentive, après-coup, des résonances positives ou négatives qui se produisent dans la séance qui permet que, peu à peu, s’établisse une qualité suffisante de transferts pour qu’un travail thérapeutique devienne possible. On devine toute la souplesse et toute l’humilité sur ses chères théories que cela demande au praticien.

L’autre point central qui se déduit de ce travail est que le patient a dès lors, toujours raison, ou, en tout cas, ses raisons !
Il n’est en effet pas possible de définir de l’extérieur ce qui devrait être le plaisir de quelqu’un, en raison de cette complexité inatteignable qu’est n’importe quel humain.
Voilà pourquoi tous les symptômes psychiques résistent aux tentatives de normalisation, qu’elles viennent du sujet lui-même ou de l’extérieur. Voilà pourquoi toutes les culpabilisations, tous les dressages et autres rééducations ou conseils directifs ne marchent pas, ou très peu de temps. C’est bien sûr la même chose pour les traitements psychotropes lorsqu’ils sont utilisés non pour traverser un moment trop insupportable, mais pour « traiter » le trouble psychique.

C’est que le symptôme, au lieu d’être simplement une excroissance de l’être à supprimer, est son cœur même, là où le plaisir, vital pour le sujet, a trouvé à se réfugier, dans une structure imaginaire alors devenue de ce fait inapte au dialogue vrai avec les autres.
Si la toxicomanie est un « voyage au bout de l’ennui », c’est bien que les résonances positives avec les autres et le social sont défaillantes depuis fort longtemps pour ces sujets.
La réalité sociale et la réalité psychique ne sont pas superposables. Elles sont même certainement fort hétérogènes, comme l’a posé clairement le Dr Marc Thiberge dans ses travaux. Mais lorsqu’elles ne s’articulent cependant pas suffisamment, que ce soit en dialogue ou en conflits constructifs, donc remaniant de part et d’autre, le symptôme psychique se profile, et c’est vrai aussi pour la toxicomanie.

Alors, que ce problème pose question au sujet, à son entourage, à la société, à la médecine, à la loi et la justice, aux psychanalystes de toutes obédiences, aux psychothérapeutes, montre un élément crucial : résistant à tout, rebelle à toute forme de normativité, souvent “guérissant” de façon imprévue et surprenante, c’est qu’il concerne le vivre ensemble de chacun d’entre nous.

C’est là qu’est le lien bien caché et pourtant Ô combien parlant, tant au niveau social qu’individuel, entre la fête et la toxicomanie. Ce travail tente d’y faire une juste part…

Michel Levy