La médecine a toujours fait de la magie son ordinaire. Des centaines de médicaments totalement inactifs servent de supports à cette partie de l’exercice qui ne diffère en rien du travail des chamans ou des sorciers antiques mais se présente dans les habits de la modernité. Le pagne n’est plus de mise non plus que l’os dans le nez mais sur le fond, depuis la préhistoire, on n’a pas beaucoup changé, on a juste la magie honteuse. Et ça ce n’est pas un progrès.

La magie de la piqûre
Dans les années 60 la piqure était magique peu importe ce qu’elle contenait. Il fallait la piqûre ! Un jour, agacé d’injecter vitamines et fortifiants à des patients qui ne souffraient de je ne sais trop quoi, juste pour me donner le temps de comprendre de quoi il en retournait j’ai décidé de faire des « injections sécurisées» sans produit, seringue vide. Ça évite les réactions allergiques. Un peu plus tard j’ai éliminé le risque de piquer une veine ou un nerf en supprimant l’aiguille et quelques temps après j’ai décidé de ne plus gaspiller de seringues. Je passais sur la peau le coton alcoolisé (l’odeur est importante). « Ne bougez pas ! » Et de l’index je « piquais ». Je faisais ainsi de petites séries d’« injections ». De tous les jours à une fois par semaine, jusqu’à guérison. Mes patients trouvaient que je faisais bien les piqûres.

La magie de l’acupuncture
Si la sagesse immense de la Chine lointaine vous fascine et qu’un brin de cruauté ne soit pas pour vous déplaire, vous adorerez l’acupuncture. Et quand vous aurez passé dix longues minutes sans bouger, seul, dans le silence, hérissé d’aiguilles pire qu’un porc-épic à vous demander ce que vous faites là, vous aurez de la peine à vous lever, vous aurez le vertige, les jambes molles et vous ressentirez une grande fatigue. On dira que les mauvaises tensions sont parties. Vous serez impressionné du résultat. Ça marche toujours bien la première fois, même si les aiguilles sont disposées au hasard car traditionnellement, pour des raisons de pudeur, en Chine l’acupuncture se pratiquait à travers les habits.

La magie de l'homéopathie
La féminisation de la profession médicale et le succès de l’homéopathie marquent l’avènement de la douceur en médecine. L’homéopathie parle le langage d’aujourd’hui. Son efficacité repose sur son argument écolo-naturaliste, son mystère et son innocuité. Le granule blanc immaculé ne contient rien. Son principe actif c’est la pureté, son mode d’action la communion (avec le discours homéopathique.) L’ordonnance est rédigée en latin. Il ne manque à la granule que d’être plate pour que la messe soit dite. Ce n’est pas une médecine douce, c’est une douceur-médecine. De la christiano-pharmacologie…

La magie de l’addictologie

La magie du soigneur
Il accompagne son patient dans les démarches administratives, va le visiter à l’hôpital ou en prison, le met dans le bus destination la post-cure, aplani ses difficultés, reste disponible au téléphone, partage son repas, l’aide à aménager, à tenir sa maison, à écrire son courrier. Il absorbe ses angoisses, désamorce ses colères et reste à ses côtés, solide et fiable pendant des mois et des années. Il l’aide à vivre simplement. « Accompagner les vivants » c’est son métier. Les compétences professionnelles se confondent avec les compétences humaines. Soigneur est l’anagramme de guérison, c’était écrit…dans le désordre..

La magie de la Psychanalyse
Dans la galerie marchande illuminée, seule la vitrine du psychanalyste, plongée dans la pénombre, est vide. On distingue à peine la silhouette d’un homme assis. Sur la porte entrouverte un panneau « C’est ici ». On la pousse par curiosité. « Allongez-vous, je vous écoute », la voix de l’autorité. Sobre et puissante, la mise en scène de la psychanalyse n’a rien à envier à celle du théâtre. Même si la séance s’est avérée décevante du point de vue analytique, pour l’analysant c’est toujours un évènement. Il n’a pas l’habitude de s’allonger au milieu de l’après-midi pour parler de choses intimes à un inconnu qui fait “hum” dans son dos et d’ailleurs, il ne sait même plus ce qu’il a dit…il va bientôt comprendre que sa séance vient de commencer.

La magie du DSM
La création du DSM* au sortir de la guerre est une tentative de classification des maladies mentales destinée à établir des barèmes de dommages au titre de réparation. Les diagnostics sont socialement et juridiquement indispensables au bon fonctionnement de la collectivité, indispensables aussi aux psychiatres pour communiquer entre eux. Mais…
*DSM : Diagnostic and Statistical Manual ou Mental Disosdres (ndlr)

Quand la magie est mauvaise
Pour les laboratoires qui produisent les médicaments à visée psychiatrique la formule est simple : plus on a de fous plus on est riches. Les gens bien portants sont un manque à gagner. On a les médicaments, c’est du côté des maladies que ça traine, il n’y a pas assez de fous, il faut en créer. La gourmandise deviendra une addiction, la tristesse une maladie, l’euphorie un trouble du comportement, personne ne doit y échapper. À chaque nouvelle version le DSM s’épaissit. N’importe qui peut faire un diagnostic, il suffit de cocher des cases dans le répertoire des symptômes. Le médecin disparait et le malade aussi car décrit sur le mode de la botanique comme un vulgaire artichaut, il est dépouillé de son identité. Le DSM ne s’intéresse ni à l’histoire ni au sens et se veut a-théorique. C’est le catalogue de l’industrie pharmaceutique. Il livre l’individu pieds et poings liés à la loi du marché.

Quand la magie est bonne
La fidélité inter juge mesure la concordance des opinions entre observateurs d’un même évènement. Pour le diagnostic psychiatrique la fidélité inter juge étant beaucoup trop faible, des psychiatres ont créé le DSM, un répertoire de symptômes objectifs, plus simples et plus faciles à identifier que les « grands », un peu trop grands, diagnostics dont les patients ne se relevaient jamais (« Je suis un schizophrène ! ») non plus que les psychiatres. Le DSM c’est la fin des diagnostics historiques : le « grand démembrement de la maladie mentale ». On n’est plus fou, juste un être humain qui présente des « troubles » spécifiques plus ou moins nombreux et intenses. La malédiction du diagnostic est levée. Et surprise, le nombre de symptômes décrits dans le DSM augmentant chaque année tout le monde finit par s’y retrouver. Sauf les fous, dilués, disparus ! Tous guéris d’un seul coup.
Article rédigé et illustré par Jacques BARSONY en février 2021